L'open data des décisions de justice
L’open data désigne une donnée numérique librement accessible et utilisable.
Il désigne également un mouvement, né en Grande-Bretagne et aux États-Unis, d’ouverture et de mise à disposition des données produites et collectées par les services publics, une politique d’ouverture publique de données structurées.
Le décret n° 2011-194 du 21 février 2011 portant création d'une mission « Etalab » chargée de la création d'un portail unique interministériel des données publiques a permis la création du site www.data.gouv.fr qui se définit comme la plateforme ouverte des données publiques.
Certes, les décisions de justice ont toujours été diffusées, notamment par le Bulletin officiel des arrêts de la Cour de cassation créé en 1798 qui publie intégralement et régulièrement des décisions civiles et criminelles de cette juridiction ( bulletin numérique des arrêts publiés des chambres civiles et bulletin numérique des arrêts publiés de la chambre criminelle depuis 2019) et par le site internet legifrance issu du décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du droit par l’internet, qui met à disposition gratuite du public une partie des décisions du Conseil d’État, de la Cour de cassation et des juridictions du fond.
La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique ouvre cependant un accès à l’intégralité des décisions de justice.
Cette mise à disposition doit se faire dans le respect de la protection des données personnelles et du respect de la vie privée des personnes concernées et des règles régissant la publicité et l’accès aux décisions. Dès lors, en mai 2017, le ministre de la Justice a confié au professeur Loïc CADIET une mission notamment d’analyse des enjeux et risques associés à l’accès, la détention et la gestion des données de jurisprudence avant leur anonymisation, de définition des conditions de la diffusion des décisions de justice au regard des droits fondamentaux, libertés publiques et garanties procédurales, de la protection des données sensibles et à caractère personnel, notamment au regard de l’étendue de l’anonymisation.
Le rapport CADIET sur l'open data des décisions de justice a été remis le 29 novembre 2017 au ministre de la Justice et a émis vingt recommandations et notamment : prévoir la mise en œuvre la pseudonymisation à l’égard de l’ensemble des personnes physiques mentionnées dans les décisions de justice sans la limiter aux parties et aux témoins, maintenir un régime de délivrance de décisions aux tiers par le greffe, prévoir que seules les décisions rendues publiquement et accessibles aux tiers peuvent faire l’objet d’une mise à disposition du public. Il préconise un traitement centralisé des décisions, avec pour les décisions judiciaires, un pilotage par la cour de cassation de la collecte automatisée de la jurisprudence de l’ensemble des juridictions de son périmètre juridictionnel, de son traitement, en particulier son anonymisation et de sa diffusion.
La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a modifié l’article L111-13 du code de l’organisation judiciaire et créé l'article L111-14 du même code, en prévoyant la mise à disposition à titre gratuit des décisions de justice dans le respect des dispositions particulières qui régissent l’accès et la publicité des décisions judiciaires (voir les articles L10 et L10-1 du code de justice administrative pour les décisions des juridictions administratives) :
Article L111-13 du code de l'organisation judiciaire:
Sous réserve des dispositions particulières qui régissent l'accès aux décisions de justice et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique.
Les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d'identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe.
Les données d'identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l'objet d'une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d'évaluer, d'analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées. La violation de cette interdiction est punie des peines prévues aux articles 226-18,226-24 et 226-31 du code pénal, sans préjudice des mesures et sanctions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Les articles L321-1 à L326-1 du code des relations entre le public et l'administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces décisions.
Un décret en Conseil d'Etat fixe, pour les décisions de premier ressort, d'appel ou de cassation, les conditions d'application du présent article.
Article L111-14 du code de l'organisation judiciaire:
Les tiers peuvent se faire délivrer copie des décisions de justice par le greffe de la juridiction concernée conformément aux règles applicables en matière civile ou pénale et sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique.
Les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage.
Un décret en Conseil d'Etat fixe, pour les décisions de premier ressort, d'appel ou de cassation, les conditions d'application du présent article.
Le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives met à la charge du Conseil d'Etat la responsabilité de la mise à disposition du public, sous forme électronique, des décisions de justice rendues par les juridictions administratives, et à la Cour de cassation cette responsabilité pour les juridictions de l'ordre judiciaire. Il fixe notamment les conditions de mise à la disposition du public des décisions de justice et détermine les cas d'occultation des éléments d'identification des personnes physiques afin d'assurer la conciliation de la publicité des décisions de justice et du droit au respect de la vie privée (articles R111-10 à R111-13 du code de l'organisation judiciaire et articles R741-13 à R741-15 du code de justice administrative).
L'article 9 dudit décret prévoit qu'un arrêté du garde des Sceaux déterminera, pour chacun des ordres judiciaire et administratif et le cas échéant par niveau d'instance et par type de contentieux, la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public. Saisi par l'association Ouvre-boite, le Conseil d'Etat a, par arrêt du 21 janvier 2021, enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de prendre, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, l'arrêté prévu à l'article 9 du décret du 29 juin 2020.