compte rendu du colloque sur"Les modes amiables de réglements des différends en matière économique de sociale"

du 22 mars 2018
22/10/2018 - mise à jour : 31/10/2018
les modes amiables de règlements des différends en matière économique et sociale

 

Propos introductifs

 Etat du droit positif

 Première table ronde : Quels modes amiables en matière commerciale ?

Seconde table ronde : Quels modes amiables en matière sociale ?

 Conclusion

Propos introductifs

Chantal ARENS, première présidente de la cour d'appel de Paris

Madame le premier président a rappelé que la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui contient un titre II intitulé « favoriser les modes alternatifs de règlement des différends » prévoit l'obligation de tenter une conciliation préalablement à toute saisine par déclaration au greffe du tribunal d'instance et à titre expérimental a instauré des tentatives préalables obligatoires à la médiation dans certains contentieux familiaux.

Elle a appelé à nouveau de ses vœux la création d'un Conseil national de la médiation dans l'objectif notamment de garantir la qualité des médiateurs qui seront inscrits sur la liste de la cour d'appel, condition première du succès de la médiation judiciaire. Plus largement, Madame le premier président a rappelé les préconisations que la cour d'appel de Paris a formulées, susceptibles de servir à l'élaboration d'une politique nationale : un outil statistique informatisé national, des mesures d'incitation à l'attention des parties, des avocats, le développement d'une formation des médiateurs mais également des acteurs du monde judiciaire.

Elle a souligné enfin les enjeux de l'essor des modes amiables de règlement des différends , à l'aube d'une transformation en profondeur de la Justice, avec la perspective proche d'une révolution numérique, le développement des legal tech, de la justice prédictive, et rappelé toute l'importance pour les praticiens du droit, magistrats, avocats, juges consulaires, conseillers prud'hommes d'expliquer en quoi une solution co-élaborée pouvait être préférable à une solution imposée.

Madame le premier président a chaleureusement remercié tous ceux qui font de la cour d'appel de Paris et des juridictions de ce ressort un véritable laboratoire de la Justice amiable.

Etat du droit positif


Natalie FRICERO, Professeure des Universités, directrice de l'Institut d'études judiciaires de l'Université de Nice Sophia-Antipolis

Madame Natalie Fricero, professeur des universités, directrice de l'institut d'études judiciaires de l'université Nice Sophia-Antipolis, a introduit cette journée d'échanges en indiquant qu'en dépit des intérêts et avantages de cette justice participative, amiable, extra-judiciaire, mais également de l'activisme de certaines juridictions, le développement des modes alternatifs de règlement des différends se faisait attendre.

Rappelant la grande diversité des modes alternatifs de règlement des différends, qui ne peuvent recevoir une définition unique, et répondant à la question de la fixation d'un régime juridique commun à tous les MARD, Madame Fricero a conclu que cette option n'était pas souhaitable au regard de la grande variété des modes amiables, du cadre juridique dans lequel ils se développaient, et du rôle de leurs acteurs : justiciable, avocat, juge, médiateur, conciliateur...

Mettant en lumière la volonté du législateur de développer les modes amiables de règlement des différends, au travers des chantiers de la justice relatifs à la simplification de la procédure civile et au développement du numérique, Madame Fricero a mis en exergue les avantages que revêt la recherche d'une solution amiable que ce soit à travers ses caractéristiques - innovante, adaptée, consensuelle, rapide - ou en ce qu'elle permet le maintien des relations entre les parties et est soumise à la confidentialité.

Parmi les perspectives pour inciter au développement des modes amiables, Madame Fricero a proposé que le rôle du juge, sans contraindre, puisse davantage inciter au recours des MARD : en généralisant le pouvoir d'enjoindre les parties à rencontrer un médiateur ou un conciliateur, en lui permettant de sanctionner le comportement des parties qui refusent sans motif légitime une médiation, en rendant techniquement impossible la saisine numérique de la juridiction si une conciliation ou de médiation n'a pas été préalablement tentée...

Partageant avec Madame le premier président ses interrogations sur le développement d'un marché privé des modes amiables de règlement des différends, Madame Fricero a conclu en notant que si le changement de culture vis-à-vis des modes amiables de règlement des différends était perceptible dans le monde judiciaire, la cour d'appel de Paris avait intégré cette évolution depuis longtemps déjà.

Première table ronde : Quels modes amiables en matière commerciale ?

Monsieur Yves Lelièvre, médiateur, ancien président de la conférence générale des juges consulaires de France, modérateur de la première table ronde, a rappelé en introduction les différences entre médiation et conciliation, leurs avantages respectifs, et a soutenu la promotion des modes amiables de règlement des différends, par le développement de formations communes magistrats/avocats ou de formations universitaires, ou encore par l'élaboration de charte de déontologie.

Un état des lieux des modes alternatifs de règlement des différends en matière commerciale a été dressé par les intervenants : Madame Isabelle Rohart-Messager, conseillère à la cour d'appel de Paris, a fait part de son expérience en première instance et en appel, soulignant que la médiation repose principalement sur la confiance que les parties ont dans le processus et dans le médiateur.

Monsieur Jean-Pierre Lucquin, conciliateur et président de chambre honoraire du tribunal de commerce de Paris, a souligné la place qu'a prise la conciliation au sein du tribunal de commerce et présenté les critères retenus pour proposer une conciliation aux parties : nature de l'affaire, montant en cause, positionnement des parties.

Maître Hirbod Deghani-Azar, avocat, médiateur et membre du conseil de l'ordre, a souligné la place et le rôle croissants de l'avocat dans les modes amiables de règlement des différends et l'importance d'intégrer des formations dédiées dans le cycle de formation initiale ou continue des avocats, de « négociation » notamment, en plus de la médiation.

Monsieur Claude Amar, médiateur, a rappelé que le rôle premier du médiateur était de conduire les parties à renouer le dialogue, sans leur imposer de solution et a insisté sur l'importance de la préparation de la médiation. Selon lui, le retard de la France dans le développement des MARD par rapport aux pays anglo-saxons s'explique par des raisons d'ordre culturel et par une formation davantage développée.

Monsieur Lionel Richaud, chef d'entreprise, a témoigné de son expérience de la médiation en tant que partie, en faisant part de l'intérêt de pouvoir exprimer des points de vue qui se situent hors du terrain juridique et en soulignant le rôle essentiel du médiateur pour réguler les échanges de négociation. Il a pu évoquer la difficulté pour les parties de devenir pleinement acteurs du différend les opposant, l'avocat étant plus en retrait.

 

L'ensemble des intervenants a proposé des pistes de travail pour favoriser le développement des modes alternatifs de règlement des différends.

Monsieur Lucquin, a proposé que soit rendue obligatoire la justification des diligences préalablement opérées à la saisine de la juridiction ainsi que la possibilité de condamner aux frais de justice la partie même gagnante qui a opposé à l'autre partie un refus injustifié de recourir aux MARD.

Madame Rohart-Messager a appelé de ses vœux la création d'une véritable direction au sein de la chancellerie pour garantir une véritable gouvernance du développement des MARD. Également partisan d'une politique nationale tendant à uniformiser les pratiques, Maître Hirbod Deghani-Azar a plaidé pour une clarification des définitions et la dispense de formation sur cette thématique dès le plus jeune âge dans l'idée de changer les cultures. Pour Monsieur Amar, il conviendrait d'insérer des clauses de médiation dans les contrats ainsi que des mécanismes d'assurance qualité.

Il a soutenu également l'instauration de programmes de communication à l'intention des entreprises, de parrainage des étudiants et jeunes médiateurs, ou encore de promotion des pratiques de prévention des conflits.

Seconde table ronde : Quels modes amiables en matière sociale ?

Modérant la seconde table ronde, Madame Christine Capitaine, conseillère à la chambre sociale à la Cour de cassation, indiquant que les textes législatifs et réglementaires étaient à la hauteur de l'enjeu - la loi du 18 novembre 2016, le décret du 20 mai 2016 et le projet de loi en cours après remise du rapport des chantiers de la Justice de simplification et de modernisation de la procédure civile,- a fait état du succès mitigé des modes amiables à ce jour, la conciliation notamment représentant une part infirme dans le procès prud'homal.

Monsieur Benoît Holleaux, conseiller et magistrat référent médiation des chambres sociales de la cour d'appel de Paris, a expliqué que la présence d'un médiateur de permanence à chaque audience de fond, avait permis un sensible développement des MARD, 216 affaires s'étant soldée par une médiation réussie en 2017 soit 1,2 % des affaires terminées.

Il a par ailleurs situé la présence d'avocat médiateur à la cour d'appel de Paris en 2002, année à partir de laquelle la médiation s'est véritablement structurée au sein de la cour.

Le taux de réussite avoisinant les 75% en tenant compte des processus transactionnels se poursuivant alors que le processus de médiation s'est terminé, Monsieur Holleaux a insisté sur l'importance du rôle actif du juge tout au long du processus, de la formation et de la compétence du médiateur.

Monsieur Holleaux a présenté la médiation et la conciliation comme deux modes de règlement du litige qui se complètent et restent optionnels, considérant que la médiation était plus adaptée si l'affaire était particulièrement complexe, en ce qu'elle laissait notamment le temps aux parties de dénouer le conflit et construire une solution qui les satisfasse.

Carmelo Visconti, vice-président du conseil des prud'hommes de Créteil, a dressé un état des lieux des modes alternatifs au sein de sa juridiction, soulignant la place prise par la conciliation au CPH de Créteil, sous l'impulsion des conseillers prud'hommes.

Il a présenté la pratique consistant à Créteil à proposer la conciliation lorsque les enjeux financiers sont relativement faibles, au moment où l'affaire est présentée devant le bureau de conciliation ou devant le bureau de jugement, lorsque les parties sont plus en mesure de se rapprocher.

Maître Dominique Retourne, avocate, médiatrice, a insisté sur le rôle de l'avocat pour proposer une médiation à son client, dans la défense de ses intérêts et a insisté sur l'importance lors de la préparation du client à la médiation, de tenir compte de la partie adverse, et non de l'ignorer comme cela peut être le cas lors d'un procès.

Elle a par ailleurs souligné la nécessité d'inclure dans les conventions d'honoraires une clause consacrée au règlement du différend par un mode amiable.

Monsieur Philippe Mandon, médiateur, a rappelé l'importance de tisser davantage de liens entre les différents modes amiables de règlement des différends, par définition complémentaires, pour les développer encore, en abandonnant les logiques corporatistes. Insistant sur l'importance du dialogue entre les parties, il a soutenu que la conciliation, avait toute sa place car elle permettait aux parties dès le début de la procédure, de s'interroger sur le motif du litige les opposant, la médiation permettant quant à elle, dans un calendrier plus long de rechercher plus en profondeur l'origine du conflit.

A la question de savoir comment développer les MARD, Monsieur Holleaux a rappelé que l'objectif était de renforcer la qualité de l'œuvre de Justice.

Il a tour à tour évoqué le renforcement de la formation des médiateurs, du développement des formations magistrats-avocats, l'instauration d'une instance nationale de contrôle et de suivi des modes alternatifs de règlement des différends, des mesures incitatives en direction des parties et des juges, telles qu'instaurer une priorité de l'affaire dans l'audiencement, ou tenir compte des MARD dans les indicateurs de performance des juridictions.

Conclusion

Natalie FRICERO, Professeure des Universités, directrice de l'Institut d'études judiciaires de l'Université de Nice Sophia-Antipolis

Madame Natalie Fricero en conclusion a constaté avec satisfaction que tous les acteurs étaient convaincus de l'utilité et de la nécessité des MARD en ce qu'ils permettent le rétablissement du lien social.

Elle a insisté sur l'incontournable mutation culturelle des acteurs judiciaires afin que soit acceptée la médiation comme voie de règlement de différends, à condition que le médiateur soit formé, compétent, diligent et doté d'une déontologie qui génère la confiance des parties.

L'intégration du médiateur dans le système judiciaire ne se fera cependant pas au détriment du juge, seul garant des droits fondamentaux dans une société démocratique, mais en complément de l'œuvre de juger.

Les intervenants et les participants se sont quittés en se promettant de se retrouver à la cour d'appel de Paris pour un 5ème colloque de printemps sur les modes amiables de règlements des différends en mars 2019.