Compte rendu du colloque sur « Procédures et méthodes de travail : regards croisés du juge judiciaire et du juge administratif ».

15 mars 2018
22/10/2018 - mise à jour : 22/10/2018
« Procédures et méthodes de travail : regards croisés du juge judiciaire et du juge administratif ».

Propos introductifs

 Première table ronde : avant l'audience, le travail préparatoire

 Seconde table ronde : de l'audience au jugement

 Conclusion

Propos introductifs

Chantal ARENS, Première présidente de la cour d'appel de Paris

Dans ses propos introductifs, Madame Chantal Arens, premier président de la cour d'appel de Paris, a indiqué que ce colloque était le premier d'un cycle d'échanges réguliers avec l'ordre administratif dénommé « d'une cour à l'autre, dialogue de juges », qui a pour objectif de permettre aux deux ordres d'appréhender plus précisément leurs champs respectifs d'intervention et de compétence et d'échanger sur leurs pratiques et organisations.

Rappelant qu'il avait été choisi pour cette première édition de croiser les regards des juges judiciaire et administratif sur les procédures et leurs méthodes de travail, Madame le premier président s'est interrogée sur la question de savoir si les deux ordres, désormais, ne regardaient pas dans la même direction.

Ainsi, tout en soulignant que les moyens humains et le nombre d'affaires traitées par les deux ordres ne présentaient pas les mêmes proportions, Madame Arens a rappelé que la justice judiciaire et la justice administrative partageaient des valeurs et des principes communs sous l'influence de la Convention européenne des Droits de l'Homme notamment par le truchement de son article 6 : le principe du contradictoire, la motivation des décisions, le principe d'impartialité du juge, dans l'objectif de garantir la qualité de la Justice.

Patrick FRYDMAN, Président de la cour administrative d'appel de Paris

Monsieur Patrick Frydman, président de la cour administrative d'appel de Paris a partagé le souhait de voir ce colloque comme le premier d'une longue lignée d'échanges fructueux entre les deux ordres de juridiction.

A l'instar de Madame le premier président, plutôt que d'insister sur les différences historiques, procédurales ou culturelles, Monsieur Frydman a souligné les objectifs communs aux deux ordres de juridictions - rendre une justice efficace et efficiente, dans l'intérêt et au service du justiciable - et les défis auxquels ils sont confrontés, notamment celui de la massification du contentieux.

Première table ronde : avant l'audience, le travail préparatoire

Dans un dialogue dynamique entre les deux ordres, Madame Martine Roy-Zenati, première présidente de chambre, et Madame Dominique Le Baut, directrice de greffe de la cour d'appel de Paris ont présenté l'évolution selon laquelle le juge judiciaire, civiliste, longtemps perçu comme un juge solitaire, est aujourd'hui entouré d'une véritable équipe, lui permettant de se recentrer sur son office, celui de juger.

Madame Mireille Heers, présidente de chambre à la cour administrative d'appel de Paris, a ensuite déroulé les différentes phases du travail du juge administratif, certaines plus solitaires que d'autres, avant que Monsieur Cédric Fumeron, greffier en chef de cette même cour, ne présente le rôle du greffier dans l'ordre administratif dont il a pu être constaté que bien que sensiblement différent de celui du greffe judiciaire, il forme également avec le juge une véritable équipe.

Le second thème de cette table ronde fut celui de la conduite de l'instruction du dossier. Après avoir rappelé les modalités de saisine des juridictions, Maître Jean-Charles Bernard, avocat au barreau de Paris, a ouvert la discussion en évoquant les questionnements d'un avocat face aux problématiques relatives à la recevabilité et à la nullité des actes introductifs d'instance, aux dispenses d'instruction selon qu'il s'agisse de l'ordre administratif ou judiciaire. Les magistrats de la table ronde ont alors éclairé les participants au colloque sur le rôle du juge et des parties dans l'administration de la preuve au sein de leur ordre juridictionnel respectif.

Les représentants des deux ordres, magistrats comme greffiers, ont enfin présenté un focus sur le traitement des séries : le dispositif national Juradinfo pour l'ordre administratif a notamment été présenté comme un outil de sécurité juridique, tandis que pour l'ordre judiciaire, ont été présentées les pistes de réflexion ouvertes par le rapport du chantier sur l'amélioration et la simplification de la procédure civile et par le rapport de la mission d'étude de l'inspection générale de la Justice sur la prise en charge des dossiers en séries.

La seconde table ronde, modérée par Monsieur le président de la cour administrative d'appel, a porté sur les méthodes de travail et la procédure, de l'audience au jugement.

Dans un premier temps, les intervenants ont pu échanger sur les différentes formations de jugement. Madame Sylvie Favier, présidente du tribunal administratif de Melun et Madame Frédérique Agostini, présidente du tribunal de grande instance de Melun, ont pu rappeler le principe du recours à la formation collégiale tout en apportant une nuance à ce principe, à l'appui de statistiques chiffrées pour les juridictions administratives, ou en rappelant qu'il est tempéré par la loi qui prévoit également que l'examen par un juge unique est possible selon l'objet du litige ou la nature des questions à juger.

Maître Jean-Pierre Grandjean, avocat au barreau de Paris, ancien membre du conseil de l'ordre, tout en rappelant les vertus de la collégialité, a présenté un plaidoyer tendant à la généralisation de la pratique du juge rapporteur dans le procès civil. Maître Alain Frêche, avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit public, a présenté quant à lui la collégialité comme garantie de l'indépendance du juge administratif, source de modération et d'équilibre.

Un deuxième temps a porté sur la place de l'oralité dans les procès civil et administratif. Maître Frêche a évoqué l'inversion et le croisement des courbes d'évolution de l'oralité dans les ordres judiciaire et administratif, tandis que Maître Grandjean a soutenu l'importance des plaidoiries à l'audience, moment fort du procès civil. Madame Agostini a développé son analyse de l'audience comme lieu d'expression des moyens et prétentions des parties, dans le respect du contradictoire. Madame Christelle Marie-Luce, greffière de l'ordre judiciaire, a exposé le rôle du greffier à l'audience, garant de la procédure avant que Madame Sylvie Favier s'interroge sur les raisons de la place grandissante de l'oralité dans le procès administratif.

Les intervenants ont enfin partagé leurs réflexions sur un autre temps fort de la procédure celui de l'élaboration de la décision de justice. Maître Alain Frêche pour l'ordre administratif a souligné l'importance du débat au sein de la formation, préparatoire à la décision « pré-déterminée » et s'est alors interrogé sur le rôle tenu par l'avocat lors de l'audience tandis que Maître Jean-Pierre Grandjean, a axé son propos sur l'importance de la motivation du jugement.

Madame Sylvie Favier a présenté la « troïka » en cour d'appel dans le cadre du délibéré dans l'ordre administratif ; pour l'ordre judiciaire, le rôle prépondérant du greffier dans la formalisation de la décision a été développé par Madame Christelle Marie-Luce, avant que la réalité de la collégialité dans le cadre du délibéré ait été rappelée par Madame Frédérique Agostini.

Conclusion

Monsieur Thomas Andrieu, directeur des affaires civiles et du Sceau a conclu les échanges.

Il a salué l'heureuse initiative de ces rencontres, qui répondent à un véritable besoin : confronter les vues des deux ordres juridictionnels qui, dans notre Etat de droit, sont chargés de répondre à la demande de justice. Il a souligné l'enrichissement mutuel que cette première rencontre avait permis pour tous les acteurs du procès (juges, greffiers et avocats) permettant ainsi d'engager un discours commun à nos deux ordres, tout en préservant les spécificités des deux ordres.

Monsieur Andrieu a évoqué le développement des préalables à la saisine du juge pour faire face à la demande croissante de justice qui se traduit par l'augmentation des saisines du juge mais aussi par la longueur et la complexité des mémoires ou les conclusions qui lui sont présentés.

Il a ensuite évoqué les évolutions procédurales à l'œuvre dans chacun des ordres juridictionnels, notamment la simplification de la procédure civile et la transformation numérique qui modifieront sans doute les méthodes de travail mais également la relation du citoyen à la justice.

Face au défi du nombre et à la complexité, Monsieur Andrieu s'est interrogé sur le rôle de la Cour de cassation, s'agissant notamment du traitement des litiges sériels.

Monsieur Andrieu a également relevé les spécificités des deux ordres dans l'élaboration de la décision, mises au service de l'efficacité procédurale. Il a notamment insisté sur la place de l'oralité, l'audience conservant une charge symbolique forte, et sur la collégialité, qui sans les conditionner, garantit l'impartialité du juge et la qualité de la décision rendue.