Compte-rendu du colloque sur « Les pratiques commerciales déloyales à l'heure européenne »

19 novembre 2018
05/12/2018 - mise à jour : 05/12/2018
colloque du 19 novembre 2018

Mot d'accueil

Introduction

Première table ronde :les droits de l'Union européenne, une occasion de repenser le droit français des pratiques restrictives de concurrence ?

Présentation de la loi EGALIM et des projets de réforme : quels changements ?

Seconde table ronde : L'expérience française de pratiques commerciales déloyales, une source d'inspiration pour le droit de l'Union européenne ?

Synthèse

 

Mot d'accueil de Madame la première présidente de la cour d'appel de Paris.

Le colloque s'est ouvert avec les propos introductifs de Madame la première présidente de la cour d'appel de Paris. Après avoir d'abord rappelé les étapes de la construction du droit français des pratiques anticoncurrentielles, elle a présenté les trois facteurs expliquant l'organisation de ce colloque : une actualité juridique nationale intense avec l'adoption de la loi dite « Egalim » du 30 octobre 2018 qui vise à améliorer l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, une évolution en cours du droit européen des pratiques commerciales déloyales à travers la proposition de directive du 12 avril 2018 de la commission européenne, et enfin le rôle prédominant de la cour d'appel de Paris dans l'application de ces textes en tant qu'unique chambre d'appel des jugements des tribunaux de commerces spécialisés traitant des pratiques restrictives de concurrence.

Madame la première présidente a conclu son intervention en annonçant la création d'un nouveau groupe de travail sur le rôle et la place de l'expertise dans l'évaluation du préjudice économique, créé par la cour d'appel en lien avec Madame le professeur Chagny.

 Introduction 

M. Oliver Sitar, chef d'unité adjoint à la direction générale agriculture de la Commission européenne

Monsieur Sitar a évoqué les discussions en cours entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen sur la proposition de directive du 12 avril 2018 et a présenté son objet objectif : renforcer la position des agriculteurs dans les chaînes d'approvisionnement. Pour y parvenir, deux objectifs sont poursuivis : faciliter la coopération entre agriculteurs et approfondir la transparence des marchés. La proposition de la Commission comporte une liste de huit pratiques prohibées (quatre en toute situation, quatre si elles ne sont pas explicitement permises par le contrat) qui s'est trouvée au cœur des débats de l'après-midi.

Première table ronde : Les droits de l'Union européenne, une occasion de repenser le droit français des pratiques restrictives de concurrence ?

Madame le professeur Chagny, modératrice de cette table ronde, consacrée à l'impact du droit européen sur la législation française, et plus précisément aux ordonnances en cours d'écriture prévues par la récente loi « Egalim », a notamment rappelé que son article 15 prévoit de rehausser le seuil de revente à perte - dont la conformité au droit européen pourrait être remise en cause par deux arrêts préjudiciels de la CJUE - et que son article 17 permet une réécriture du Titre IV du Livre IV du Code de commerce.

Monsieur le professeur Benzoni a exprimé ses réserves quant à la rédaction de ces ordonnances. Il s'est interrogé quant à la démarche d'identification des dysfonctionnements du marché, les prix n'étant pas pour lui la cause du problème mais un simple symptôme de ce dernier. Il a souligné les points d'attention sur la loi « Egalim » : notamment l'aspect générique de son article premier et l'interrogation quant à l'efficience de son article 15 tendant à mettre fin à la guerre des prix.

Monsieur Birolleau, président de chambre, a centré son intervention sur la question de la rupture brutale ou abusive du contrat qui n'apparaît pas parmi les huit interdictions posées par la proposition de directive de la Commission. Se sont développés autour de cette question deux débats : savoir d'une part si cette rupture relève du contractuel ou du délictuel, débat tranché par la Cour de cassation en faveur de la matière contractuelle suite à l'arrêt Granarolo de la CJUE (C-196/15); d'autre part déterminer si l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce constitue ou non une loi de police, ce à quoi a répondu favorablement la cour d'appel de Paris. Sur ce point la Cour de cassation ne s'est toujours pas exprimée et la doctrine reste partagée. Monsieur Birolleau a appelé de ses vœux un encadrement plus précis venant de la mise en conformité du droit français à la réglementation européenne.

Présentation de la loi EGALIM et des projets de réformes : quels changements ?

Joanna Ghorayeb, magistrat détachée en qualité de sous-directrice des affaires juridiques et des politiques de la concurrence à la DGCCRF

Madame Ghorayeb a fait une présentation détaillée de la loi « Egalim ». Elle a rappelé ses dispositions phares comme le relèvement du seuil de revente à perte, l'encadrement des promotions, le renversement de l'initiative de la proposition de contrat au bénéfice du fournisseur en amont, le renforcement des pouvoirs de l'autorité de la concurrence ou encore du rôle du médiateur. Madame Ghorayeb a indiqué qu'il s'agit pour le gouvernement d'un travail de simplification et de clarification, tout en tenant compte de l'évolution du droit européen et de l'issue prochaine d'une QPC portant sur l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Seconde table ronde : L'expérience française de pratiques commerciales déloyales, une source d'inspiration pour le droit de l'Union européenne ?

Madame Valérie Michel-Amsellem, présidente de chambre, modératrice de cette table ronde centrée sur l'influence du droit français sur le droit européen, réagissant à l'intervention de Monsieur Birolleau, a constaté que la réglementation sur la rupture brutale du contrat avait pu devenir un instrument de blocage à travers un contentieux de masse. Elle a rappelé qu'une bonne protection ne devait pas avoir pour conséquence d'entraver le jeu de la concurrence, l'innovation économique, ou pénaliser l'attractivité de l'économie nationale.

Monsieur le professeur Jules Stuyck a ensuite présenté les caractéristiques du droit belge sur les pratiques commerciales déloyales, et évoqué l'actualité d'un avant-projet de loi ayant vocation à traiter à la fois des abus de dépendance économique, des clauses abusives entre entreprises et des pratiques commerciales trompeuses et agressives.

Madame Irène Luc, présidente de chambre, a présenté le dispositif français de ministre de l'économie « procureur national économique » qui permet au ministre, et à la DGCCRF par délégation, d'assurer le maintien de l'ordre public économique et de se substituer aux acteurs économiques ne pouvant faire valoir leurs droits. Elle a souligné la pertinence de ce dispositif - auxquelles les parties ne peuvent échapper y compris par clause d'arbitrage et par la désignation d'un juge étranger - et l'influence positive qu'il pourrait avoir sur la réglementation européenne.

Enfin, Maître Jean-Louis Fourgoux a, non sans une touche d'humour, formulé le souhait ambitieux de voir le droit français influencer le droit européen. Maître Fourgoux a regretté que le corpus juridique français en matière de pratiques commerciales déloyales, nonobstant sa qualité, se soit complexifié suite aux réformes successives. Il a souligné le rôle du juge de la liberté contractuelle et de la relation commerciale dont il a salué la qualité du travail et la capacité d'adaptation. Et de conclure sur la formule qui n'a pas manqué d'interpeler l'ensemble de l'audience : « Nous avons des juges qui savent douter et qui savent trancher, sauvons les ! ».

 Synthèse

Madame Pascale Compagnie, sous-directrice du droit économique à la DACS

Madame Compagnie a voulu pour conclure souligner les forces du droit français en matière de protection contre les pratiques commerciales déloyales, notamment à travers les pouvoirs du ministre de l'économie. Elle a également évoqué le rôle essentiel de la cour d'appel de Paris. Elle a souligné l'importance d'une approche transversale de la matière, mettant en avant les influences réciproques des droits français et européens. Madame Compagnie a enfin insisté sur la nécessité de garantir, à travers les réformes à venir, à la fois une véritable sécurité juridique pour les acteurs économiques et une efficacité du système juridique grâce à la spécialisation des juridictions, à la clarté et l'homogénéité de leur jurisprudence.