Compte-rendu du colloque sur le droit de la concurrence
Discours d'ouverture
Quelle place de l'économie dans le droit de la concurrence ?
Première table ronde sur les pratiques anticoncurrentielles
Deuxième table ronde sur le droit des pratiques restrictives de concurrence
Troisième table ronde sur la mise en œuvre publique du droit de la concurrence
Quatrième table ronde sur le rôle accru des juridictions judiciaires
Conclusions
Chantal Arens, première présidente de la cour d'appel de Paris a ouvert le colloque coorganisé avec l'AFEC (Association Française d'Etude de la Concurrence) et l'Université Paris-Saclay, en partenariat avec l'ENM. Elle a rappelé la place prépondérante de la cour d'appel de Paris, au côté de la Cour de cassation, pour la construction de la jurisprudence concernant le droit de la concurrence. Elle a salué l'engagement des magistrats qui se sont succédés dans ce contentieux spécialisé et invité chacun à réfléchir aux évolutions prévisibles.
Bruno Lasserre, président de la section de l'intérieur, Conseil d'Etat, ancien président de l'Autorité de la Concurrence a poursuivi les propos introductifs en évoquant l'élan créateur qu'il a qualifié d'extraordinaire et original au moment de l'élaboration de l'ordonnance de 1986. Il a comparé cette réforme à l'engagement des mousquetaires, au regard du temps court de sa construction dans un objectif qui va droit au but, sans compromis, et avec un esprit de bataille.
Il a rappelé la proposition de Donnedieu de Vabres : « l'Etat ne doit plus être le gérant de l'économie mais le garant de la liberté de l'économie ».
Quelle place de l'économie dans le droit de la concurrence ?
Le premier sujet abordé au cours de la matinée interrogeait les mutations du droit de la concurrence sous la présidence de Christian Babusiaux, ancien directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répresion des fraudes.
Thierry Dahan, vice-président de l'Autorité de la concurrence est intervenu sur la place de l'économie dans le droit de la concurrence en évoquant la manière dont le raisonnement économique peut s'articuler avec le raisonnement juridique. Il a constaté qu'il existe une préférence collective pour un marché concurrentiel et, à partir de là, il faut aux praticiens oeuvrés dans ce sens, sans qu'il y ait besoin d'une doctrine économique extrêmement élaborée.
Louis Vogel, professeur de l'université Panthéon-Assas, avocat, vice-président de l'AFEC, a souligné la montée en puissance de l'efficience, la pondération étant inversée au profit de l'économie et au détriment du droit. Pour lui, le risque c'est l'absence de prévisibilité et il faut donc maintenir l'équilibre et que la règle de vie économique soit quand même une règle de droit.
Christian Babusiaux est intervenu pour indiquer que c'était un droit de la concurrence et que c'est devenu un droit à la concurrence.
Première table ronde sur les pratiques anticoncurrentielles
Valérie Michel-Amsellem, présidente de la chambre 5-7 de la cour d'appel de Paris, a évoqué le dialogue contructif et exemplaire entre le droit national et le droit communautaire même si cela n'a pas été évident au départ et souligné qu'à aucun moment l'application directe du droit communautaire n'a posé de difficulté.
Jean-Louis Fourgoux, avocat, président de l'AFEC, a rappelé la ligne d'efficience du droit de la concurrence dans la lutte des ententes horizontales et des cartels en relevant que l'autorité n'a jamais faibli malgré la volonté de certains secteurs de s'opposer à certaines formes de nouvelles commercialisations.
Gildas de Muizon, économiste, expert près la cour d'appel de Paris, a évoqué les tests économistes et constaté l'évolution de la sophistication des analyses économétriques qui visent à mettre en évidence des prix trop élevés.
Linda Arcelin, professeur à l'Université de la Rochelle, en évoquant l'émergence du secteur numérique a émise des doutes sur l'adaptabilité des textes. Elle a constaté que la Commission européenne insiste sur l'environnement équitable au cas par cas, sans position théorique, et que l'autorité est toujours inscrite dans cet équilibre en garantissant un accès au marché et en assurant une exploitation équitable.
Deuxième table ronde sur le droit des pratiques restrictives de concurrence
La deuxième table ronde sur le droit des pratiques restrictives de concurrence était animée par Daniel Tricot, vice-président de la CEPC, président de chambre honoraire à la Cour de cassation.
Hervé Delannoy, directeur juridique, a rappelé que le texte de l'ordonnance traitait de liberté dans un contexte économique français particulier avec un Etat présent dans les entreprises françaises.
Michel Ponsard, avocat, a quant à lui rappelé que, petit à petit, sont intervenues des sanctions civiles, pénales et administratives, les nombreuses législations montrant l'ambiguité du législateur.
Charles Aronica, directeur juridique de la FIEV, a indiqué que dans son secteur les équipementiers, la puissance d'achat des grands donneurs d'ordre est source d'abus, l'industrie automobile est fortement concentrée (70% de la production réalisée par 7 constructeurs). Il s'est donc interrogé sur l'application des pratiques de la grande distribution à l'industrie automobile.
Effet pervers d'allonger la liste des pratiques restrictives : les praticiens contournent et imaginent autre chose.
Daniel Tricot pour conclure a relevé l'extrême complexité qui peut aller jusqu'à la contradiction, trop franco-française alors que le marché est européen.
Les perspectives seraient une nécessaire harmonisation européenne et une application efficiente des dispositions existantes avant de continuer à légiférer car s'il y a des décisions du ministre dans le domaine de la grande distribution, il n'y a quasiment rien dans le domaine industriel.
Une réécriture des dispositions pour les rendre plus claires et plus cohérentes serait également bienvenue.
Pour conclure la matinée, Christian Babusiaux a repris la parole en rappelant qu'il y avait un handicap de compétitivité française il y a 30 ans. La volonté était de faire du texte un droit transversal, valable pour l'ensemble des secteurs de l'économie et adaptable aux évolutions déjà prévisibles.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Il faut aujourd'hui l'équivalent d'une reconception d'une politique économique et le droit de la concurrence a encore un rôle majeur à jouer.
Troisième table ronde sur la mise en œuvre publique du droit de la concurrence
Les interventions de l'après-midi ont été orchestrées par Jean-Bernard Blaise, professeur émérite de l'université Panthéon-Assas, ancien membre du collège du Conseil de la concurrence sur la question suivante : Quelles évolutions dans la mise en œuvre du droit de la concurrence ?
Il a rappelé l'historique avant l'ordonnance de 1986 et évoqué notamment la commission technique des ententes avant de céder la parole à Laurence Idot, professeur à l'université Panthéon Assas, membre de l'Autorité de la concurrence, ancienne présidente de l'AFEC qui a traité d'un sujet plus juridique : la preuve devant l'Autorité de la concurrence.
Les données ont beaucoup changé selon elle, le contentieux des marchés publics a disparu au profit des ententes horizontales. Elle a constaté une double européanisation du droit de la concurrence. La spécificité française tient plus de l'autonomie institutionnelle, il n'y a pas de plaignant en droit français et de la séparation de principe entre l'instruction et le collège.
Nathalie Homobono, directrice générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes a rappelé que la coexistence de la DGCCRF et de l'Autorité de la concurrence est une exception par rapport aux autres pays européens. Selon elle, le droit des pratiques restrictives de concurrence (PRC) s'est étoffé et a perdu sa visibilité et sa cohérence. Aussi, le dispositif du droit de la concurrence est plus mature que celui du droit des PRC.
Christophe Pourreau, maître des requêtes au Conseil d'Etat, 3ème chambre du contentieux contrôle des décisions de l'autorité de la concentration. Il a évoqué la jurisprudence du Conseil d'Etat en cette matière.
Quatrième table ronde sur le rôle accru des juridictions judiciaires
Guy Canivet, premier président honoraire à la Cour de cassation, est revenu sur l'histoire de la genèse de l'ordonnance et sa mise en oeuvre en rappelant que le gouvernement estimait que la compétence devait être judiciaire et amis connaissant l'opposition du Conseil d'Etat a fait passer le texte par une proposition de loi. Il a constaté que les promesses n'ont pas été tenues avec la reconstitution du contentieux administratif et l'alourdissement qui rend plus longues les procédures.
Il a suggéré le regroupement des procédures en matière de droit commun, de concurrence et de PRC, la mise en oeuvre de la directive dommage avec la responsabilité comme événement régulateur du droit de la concurrence et la mise en oeuvre de l'action de groupe en droit de la concurrence.
Jacqueline Riffault-Silk, conseillère doyen chambre commerciale de la Cour de cassation, est ensuite intervenue sur la régulation judiciaire de la concurrence en évoquant la singularité assumée par les juges judiciaires. Elle a déploré que les réformes récentes brouillent les principes évoqués tout au long de la journée.
Carole Champalaune, directrice des affaires civiles et du Sceau, a finalement souligné la relative jeunesse du droit de la concurrence à la française. Elle a évoqué la question de la réparation des préjudices dans une dynamique prospective de modernisation dans le cadre de la transposition de la directive 2014-104.
Conclusions
Cette belle journée de réflexion, de rappels historiques et de propositions prospectives a été conclue par Muriel Chagny, professeur à l'université de Versailles (Paris-Saclay), rapporteur général de l'AFEC.
Les actes de ce colloque sont publiés dans un ouvrage collectif aux éditions Lextenso.