Compte-rendu du colloque « Secrets et procès »

6 juin 2017
22/10/2018 - mise à jour : 21/09/2023
colloque "secret et procès"

 

Discours d'ouverture

 Première table ronde : les secrets dans le procès

 Deuxième table ronde : les secrets du procès

Chantal Arens, première présidente de la cour d'appel de Paris a ouvert la conférence en soulignant l'importance du partenariat avec les universités, conformément aux orientations de la loi Justice du XXIème siècle, et particulièrement avec l'université Paris XI Jean Monnet. Elle a relevé que cette conférence n'est pas une conférence de plus mais le fruit d'un partenariat que les protagonistes souhaitent durable et ambitieux entre la pratique et la recherche, l'expérience et la découverte, la jurisprudence et la doctrine.
Après avoir présenté les intervenants, elle a introduit le sujet sur « les secrets dans le procès », correspondant à la première table ronde et les « secrets du procès », correspondant à la seconde table ronde.

Yves-Marie Serinet, professeur à l'université Paris Sud, a poursuivi les propos introductifs en rappelant que le partenariat entre la cour et la faculté de Sceaux a presque deux ans, puisque la signature de la convention a eu lieu le 23 juin 2015. Il a évoqué les très nombreux échanges entre la cour et l'Université et salué l'accueil enthousiaste et bienveillant de 16 étudiants cette année, sur les 26 de la promotion MII professions judiciaires.

Sur le thème du colloque, il a relevé que le secret est régulièrement débattu par les juristes mais la thématique retenue ce jour permet une approche transversale, civiliste et pénaliste et pluridisciplinaire. Il a souligné le pluriel au mot secret car il y a plusieurs catégories de secrets et plusieurs catégories de secrets nés du procès.

Pour animer la conférence, deux étudiantes du Master II professions judiciaires de la faculté de Sceaux ayant fait leur stage à la cour sont intervenues pour introduire les tables rondes et les intervenants, en commençant par la première table ronde sur les secrets dans le procès.

Première table ronde : les secrets dans le procès

Maître Gaelle Le Guillec, membre du conseil de l'ordre, barreau de Paris, est intervenue sur le secret professionnel en soulignant l'antinomie apparente et a remarqué que le secret professionnel de l'avocat est un des secrets les plus protégés avec le secret médical et le secret de la confession.

Le secret permet la confiance nécessaire pour la défense et le conseil par l'avocat. Elle a rappelé l'importance du secret professionnel à l'article 2 du règlement interne national mais aussi comme une obligation légale et de déontologie. Elle a évoqué 3 situations différentes au cours desquelles l'avocat dans le procès, doit gérer ce secret : avocat partie, avocat témoin et avocat défense. Elle a souligné que personne ne peut délier un avocat de son secret professionnel.

Monsieur le professeur Xavier Boucobza, a poursuivi sur le secret des affaires, qui recouvre l'ensemble des informations licites et confidentielles dont la divulgation causerait un préjudice, l'information pouvant être d'ordre stratégique et pas seulement sur la production. Or, certains procès doivent rentrer au cœur même de l'entreprise pour que la justice puisse être rendue. La divulgation est l'enjeu même du procès alors qu'il ne faut pas mettre en danger l'entreprise.

Il a relevé que le droit français ne connaît pas de véritable réglementation du secret des affaires, la notion même n'existant pas en droit français. Par contre, il y a de nombreux textes qui s'y rapportent et qui relèvent de domaines différents.

Depuis la directive du 8 juin 2016 (transposition avant juin 2018), il existe une protection spécifique dans l'union européenne avec comme conditions qu'il s'agisse d'une information secrète-valeur commerciale- qui ait fait l'objet de dispositions raisonnables destinée à la garder secrète. Il a présenté sa réflexion dans les procédures de droit commun d'une part, plus silencieux sur la question et en observant que c'est là que se pose avec plus d'acuité la question puisque les principes procéduraux sont antinomiques avec le secret des affaires (principe du contradictoire, principe de publicité des débats, et loyauté des débats notamment) puis dans des procédures spécifiques d'autre part, par exemple le droit de la concurrence.

Il a conclu son propos en relevant que le droit français va avoir à se réformer assez profondément en la matière.

Sophie Portier, présidente de chambre à la cour d'appel est intervenue sur le secret des sources en rappelant la protection particulière dont bénéficie le journaliste professionnel qui n'est pas le blogueur ni le lanceur d'alerte, et qui l'autorise à ne pas livrer la provenance de ses informations.

Toutefois, cette protection n'est accordée que dans certaines conditions.

Cette protection a été élaborée à partir de la jurisprudence européenne. Historiquement, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l'idée était d'offrir au citoyen une information libre dans l'expression et le recueil des informations (article 19 déclaration 1948 valeur de principe).

La réflexion sur le secret est une question d'équilibre entre des droits à protéger, le secret des sources étant considéré comme la pierre angulaire de la liberté de la presse.

Elle a évoqué la loi de 2010 très attendue par les journalistes (article 2) qui correspond à une transposition des motifs de la CEDH mais n'a pas fait de la violation un délit autonome. Elle a relevé que cette réforme, critiquée, n'est pas simple à mettre en œuvre.

Elle a conclu en remarquant que dans les affaires récentes, il n'y a pas de problème de secret des sources car les journalistes font eux-mêmes leurs investigations, ils sont leur propre source.

Deuxième table ronde :  les secrets du procès

Jean-Christophe MULLER, avocat général, Département Affaires économiques & financières

La deuxième table ronde sur les secrets du procès a commencé avec l'intervention de Jean-Christophe Muller, avocat général à la cour d'appel, qui est intervenu sur le secret de l'enquête préliminaire. Il a souligné la permanente actualité de ce sujet en relevant que paradoxalement l'article 11 du code de procédure pénale n'a été modifié qu'une fois depuis 1958. Il s'est interrogé : quelle forme forme a le secret de l'enquête préliminaire ? Il y a deux objectifs a priori peu conciliables : la préservation de la présomption d'innocence et la préservation de l'efficacité des investigations de l'enquête préliminaire.

Toutes personnes qui concourent à la procédure sont tenues au secret de l'enquête préliminaire (magistrats du siège et du parquet, les OPJ, les experts...). La liste étant limitative, ni les avocats ni les parties n'y étant tenus. Il a rappelé que les exceptions au principe sont peu nombreuses.

Il a conclu que dans sa signification actuelle le secret de l'enquête préliminaire a essentiellement une portée déontologique.

Haritini Matsopoulou, professeur à l'université Paris Sud a poursuivi sur le secret de l'instruction en indiquant que selon elle on ne peut pas séparer le secret de l'enquête et le secret de l'instruction.

Historiquement, jusqu'au code pénal aucun texte ne traitait précisément du secret de l'instruction. Elle a repris une affirmation du professeur Garraud selon lequel « le secret de l'instruction est un secret de polichinelle en raison du développement des médias ».

Ce secret a pour objectifs notamment l'efficacité des investigations, la protection de la présomption d'innocence, la garantie de l'indépendance de la justice contre la pression de l'opinion publique.

Elle a conclu en soulignant qu'il y a de nombreuses dérogations par des fenêtres de publicité et des révélations pour les besoins des droits de la défense. En outre, la CEDH a fait primer le principe de la liberté d'expression.

Xavière Siméoni, présidente de chambre à la cour d'appel a conclu la table ronde par une intervention sur le secret du délibéré et plus particulièrement le secret du délibéré de la cour d'assises.

Là où la publicité de l'audience s'arrête, commence le secret du délibéré qui est le moment où la parole doit être libre car, comme l'a souligné Mme Siméoni, il s'agit d'une des expressions les plus abouties de la citoyenneté. Après un rappel historique, elle a rappelé la liste des personnes présentent lors du délibéré dont celles qui y assistent sans y prendre part : les jurés supplémentaires les auditeurs de justice, les magistrats stagiaires en formation probatoires, les élèves avocats, des greffiers en chef en formation, des magistrats étrangers en stage.

Elle a également rappelé le déroulement du délibéré qui se termine par un vote secret par écrit, après une discussion ouverte, ce qui peut paraître paradoxal.

Comment savoir si le secret du délibéré est respecté ? Cela suppose une violation du délibéré qui devient public mais, de fait, il y a très peu de jurisprudence.

Pour conclure, elle a relevé deux tempéraments à ce secret : la demande de motivation et l'exigence de transparence de notre société.

Les participants se sont donnés rendez-vous pour la quatrième rencontre à l'issue de la prochaine année universitaire, en 2018.