Compte-rendu du Colloque « l'alternativité : mythe ou réalité »

23 et 24 mars 2017
29/10/2018 - mise à jour : 29/10/2018
colloque 23 et 24 mars 2017

L'alternativité : mythe ou réalité

Le thème de la première journée à l'Université de Nanterre était consacré au passé et présent de l'alternativité avec une première session concernant les sources historiques des MARC et une deuxième session intitulée les MARC : une alternative dans un cadre étatique. Se sont succédés au pupitre des historiens et des anthropologues ainsi que des professeurs de droit.

Le colloque a été ouvert par Chantal ARENS, première présidente de la cour d'appel de Paris, qui a souligné l'intérêt de réfléchir ensemble, chercheurs et praticiens sur l'alternativité. Elle a souligné la qualité des intervenants et rappelé son attachement au développement des modes amiables de résolution des différends.       Lire l'intervention de Chantal Arens

La deuxième journée à la cour d'appel de Paris était consacrée au futur de l'alternativité.

La première session a ouvert la deuxième journée sur une question : une justice à géométrie variable ?

Fabrice VERT conseiller à la cour d'appel de Paris, référent médiation-conciliation pour la cour, modérateur, a posé plusieurs questions susceptibles d'être abordées par les intervenants : Est ce que le juge va disparaître ou son rôle de juge prescripteur va-t-il se développer ? Est ce qu'il n'y a pas un risque de judiciarisation des modes alternatifs ?

Il a introduit l'intervention du professeur Train sur l'arbitrage, entre spécialisation et communautarisation.

Le professeur François-Xavier TRAIN a affirmé, en introduction à son propos, que l'arbitrage n'est pas un MARC, ce titre étant réservé aux modes amiables, mais c'est une alternative à la justice étatique, d'autant qu'il est facultatif et que l'ordre juridique garantit son efficacité. C'est, selon lui, une alternative qui a beaucoup changé en deux mouvements : un mouvement de standardisation sous l'influence de l'ordre juridique, avec une juridictionnalisation de l'arbitrage et une conflictualisation du processus, avec la multiplication des recours. Il a évoqué un autre mouvement de standardisation avec une uniformisation spontanée des règles de la procédure et une répétition des pratiques. Il a retenu que l'arbitrage est une justice communautaire, la communauté pouvant mettre en place un processus conforme à ses valeurs et à ses besoins, le droit français étant accueillant pour ce type de justice.

Le professeur Xavier LAGARDE a poursuivi sur les modèles de l'alternativité en revenant sur une énigme pour lui, concernant le taux faible des modes alternatifs par rapport au nombre de décisions rendues malgré les développements du livre V du code de procédure civile. Il a défendu l'idée que l'alternativité que souhaitent les pouvoirs publics ne peut fonctionner qu'à petite échelle car concevant l'amiable comme une thérapie en antithèse du règlement juridictionnel. Pour lui, pour que cela fonctionne, il faut que les parties envisagent la conciliation - médiation avant même l'usage de leur droit d'agir (dans une clause contractuelle par exemple), il faut que le droit soit faible dans les matières concernées et il faut que les parties aient peu de conviction sur l'effet de la décision (par exemple pour les contentieux entre les opérateurs industriels).

A grande échelle, selon lui, le modèle le plus performant est celui de l'expertise (renvoi à l'article 145 du CPC). Le médiateur rend alors un avis et cela fonctionne bien dans les relations professionnels-clients.

Pour lui les médiations qui ont le plus de chance d'aboutir sont donc celles imaginées avant le procès.

Le professeur Marjolaine ROCCATI a proposé un autre angle d'approche, celui du législateur de l'Union européenne dans son intervention intitulée « Géométrie variable des MARC et droit de l'Union européenne ». Le droit de l'Union européenne a-t-il promu un modèle ? La commission européenne a suivi plusieurs mouvements parallèles : recommandations sur les litiges de consommation, livre vert, directive médiation... Elle a affirmé que l'approche sectorielle est caractéristique de l'approche européenne. L'apport est donc, pour elle, à géométrie variable car l'Union n'opère pas de choix dans les types de modes alternatifs. Le législateur du droit de l'union ne choisit pas de modèle, il ne délimite pas les contours des outils dont il souhaite le développement.

Lors des débats, le professeur FAGET est revenu sur les propositions du professeur Lagarde et a défendu l'idée que la médiation n'est pas une thérapie mais une rationnalité communicationnelle car aucune médiation n'est thérapeutique et qu'elle est une rationnalité technique et non une expertise car ce qui fait l'originalité du tiers-médiateur est justement qu'il n'est pas expert mais catalyseur d'un processus de communication. Si on retient l'acception d'expert, on parle alors de la négociation assistée.

Il a été indiqué néanmoins par un participant qu'au Québec, le médiateur est appelé le « guérisseur des conflits ».

Le professeur Paola CECCHI DIMEGLIO a proposé de discuter des systèmes de gestion des conflits et de l'interdisciplinarité des modes alternatifs de résolution des conflits. Elle a rappelé que les véhicules de compréhension sur le système de gestion des conflits sont la sociologie, la psychologie, l'anthropologie etc... car la prise en compte de l'humain est au cœur du système. Elle a aussi souligné que l'esprit participatif devait être le fil conducteur du système de gestion des conflits. Elle a donné l'exemple de l'institutionnalisation au Bhoutan, de jurys tirés au sort au sein de chaque entreprise qui seront compétents pour gérer d'éventuels conflits à venir, pour interroger la conception du système en fonction de l'objet, des acteurs (avocat ou pas), du moment de son intervention et de la durée de son utilisation. Elle a également insisté sur la nécessité d'évoquer la question financière du système de gestion des conflits.

Madame Catherine BAROIN, anthropologue, membre du CNRS, est intervenue sur le jeu des plaideurs chez les Rwa du mont Méru, en Tanzanie pour aborder la question du choix entre justice traditionnelle et justice étatique. Elle a expliqué que ces deux justices fonctionnent selon un système différent en Tanzanie. Si la première recherche le consensus, la deuxième fonctionne comme en occident. Pour cette population Rwa la terre a une importance cruciale. C'est une ethnie qui s'est constituée à la fin du XVII ème siècle, avec un système de clan patrilinéaire où seul l'homme possède la terre. L'évolution de la société a entraîné l'apparition de conflits au regard de ce système initial autour de la notion de bien que représente la terre, conflits qui sont en général gérés par la justice traditionnelle.

La justice étatique est constituée de différentes strates, du village jusqu'à l'état dans son ensemble. Ces tribunaux sont régulés par un texte écrit, constitutionnel. Il faut dans ces tribunaux qu'il y ait des femmes, ce qui n'est jamais le cas dans la justice clanique. Elle a souligné que désormais, la population n'hésite pas à recourir à la justice étatique car elle peut mettre en prison mais surtout elle peut contraindre à une vente de terre.

Madame Livia HOLDEN, directrice des sciences du comportement, est ensuite intervenue sur le conseil d'arbitrage ismaelien en Hunza (région du Pakistan). Elle a expliqué, en anglais, que l'idée est d'avoir un traitement équitable, rapide, confidentiel avec un coût raisonnable, inspiré du Coran et d'origine pré-islamique. Dans ce système, l'alternativité n'est pas le but mais le processus.

Le professeur Thomas CLAY, modérateur, a ouvert la session de l'après-midi sur l'atomisation de la justice. Il s'est, en spécialiste du sujet, posé à nouveau la question : L'arbitrage est-il un mode alternatif ? pour ensuite la préciser : alternatif à quoi ? Et répondre : à la justice étatique oui, à la justice non.

Le professeur Louis ASSIER-ANDRIEU, anthropologue, école du droit de Sciences Po, a raconté une histoire concernant le conflit créateur de Karl Llewellyn. En 1982, lors d'un symposium de justice de voisinage à Washington, il a rencontré « un vieux monsieur » qui était le collaborateur de Karl Llewellyn, « l'homme par qui tout a été possible ». Llewellyn serait l'inspirateur du mouvement alternativisme, du moins aux États-Unis. Il a écrit contre le doyen de Harvard « au commencement n'était pas le verbe au commencement était un acte ». Il a renversé la perspective juridique, puisque pour lui les faits déterminent le droit et la fonction normative doit s'apprécier comme un fait, elle aussi. Pour le prouver, il s'est tourné vers les indiens d'Amérique et notamment les Cheyennes. Le droit s'est empiriquement ce qui est fait à propos d'un conflit, il n'est pas besoin de formes ni d'une institution. L'ensemble du droit est assujetti à la factualité. (livre paraît en 1941 : « Cheyenne way »). L'effet induit de cette théorie, aujourd'hui, est la recherche de moyens de désengorger les tribunaux, de dériver un flot de demandes de droit et de faire droit, « par informalisme », à des besoins locaux.

Le professeur Emmanuel DOCKES a poursuivi sur les possibles dérives de l'idéologie des MARC : quelques exemples tirés du droit du travail. Il s'est attaché aux mots : alternatifs, modes, règlements des conflits. Il a souligné combien ces mots sont tous positifs. Alternatif à quoi ? Au juge, au système étatique dans une hypothèse où le juge aurait dû être saisi, donc dans une infime partie des conflits. Il s'agit d'un évitement par les MARC mais aussi un risque de voir apparaître un autre pouvoir qui se substituerait au juge. Chacun des deux modèles, étatique ou MARC, porte ses valeurs mais les MARC ne doivent pas faire oublier la valeur du juge. Modes alternatifs : la façon de résoudre les litiges serait différente, plus conciliée, plus consensuelle et donc plus juste ? Pour lui, plus personne ne pense cela. Il a développé sur le fait que les abandons de droit, dans les univers consensuels, sont importants car celui qui a intérêt à transiger est celui qui est dans la position la plus faible. Règlement des conflits, il s'agit du paradigme « Habermasien » exacerbé. Il a évoqué l'exemple de la médiation pour le harcèlement au travail, avec un médiateur de l'entreprise qui intervient dans le cadre du lien de subordination de l'entreprise.

Le professeur Laurence USUNIER a traité des dangers de l'alternativité en droit de la consommation en revenant sur le fait que les MARC sont payants, alternatifs à la justice étatique et ne présentant donc pas les mêmes garanties que cette dernière. Elle est partie de l'idée que l'enjeu du litige entre le professionnel et le consommateur n'est pas le même qu'entre un mari et une femme. Elle a constaté un pullulement des modes amiables : privés, publics, propres à certains types de consommation, individuels ou collectifs. Elle a affirmé l'existence d'une atomisation de la justice en droit de la consommation. Elle a présenté deux textes européens dont le but est d'assurer l'existence, dans les états membres, d'organes susceptibles de régler extra-judiciairement ses litiges. Il s'agit d'une médiation à connotation très technique et le succès de la médiation dans ce domaine ne repose pas tant sur les qualités humaines du médiateur que sur son expertise en droit de la consommation. « C'est de la cheap justice pour de la cheap litigation ». Elle a souligné le paradoxe de JXXI entre le principe d'accès au droit et à la justice et la fin de non recevoir tirée de l'absence de tentative de conciliation préalable. Toutefois, elle a relevé que le conciliateur choisi est, heureusement, le conciliateur de justice. Elle a conclu que le droit de la consommation donne à voir une institutionnalisation des modes amiables.

 

Après un temps de débats nourris entre participants et intervenants compte tenu des positions développées tout au long de la journée,

le professeur Loïc CADIET a conclu les deux jours de colloque sur le thème : l'alternativité, mythe et réalité. Il a livré « ses réflexions libres d'un juriste français sans objectif de faire consensus », lequel consensus, s'est-il interrogé, est-il concevable en l'absence de vocabulaire partagé concernant les MARC ? Il a proposé d'intituler la conclusion l'alternativité, réalité et non pas mythe. Il a souligné l'avoir rencontrée tout au long des interventions sur les voies romaines ou sur les pentes du Mont Meru, en passant par la vallée Hanza au Pakistan. Il a rappelé qu'il était possible d'avoir de l'alternativité une définition au périmètre plus ou moins large selon qu'on y accueille l'arbitrage ou pas, les autorités administratives indépendantes etc...L'essentiel pour lui est « l'autre » en insistant sur le fait que cette réalité n'est pas pensée seulement par les juristes ni seulement en France. La réflexion s'attache aussi selon lui à la modélisation des techniques des modes alternatifs sans vouloir imposer un modèle. En tout état de cause, le système global répudie le tout juridictionnel ou le tout amiable avec l'idée qu'à chaque type de conflit correspond son mode de résolution approprié.

Pourquoi se poser la question de mythe ? Au sens d'affabulation, d'utopie ? Ce n'est pas du côté de l'effectivité qui faut rechercher le mythe, même si le succès des MARC n'est pas forcément là où on l'attend. C'est sous l'angle de l'atomisation de la justice que cette question a pu être abordée. Les MARC posent la question fondamentale des droits des parties car ils se déploient dans le secret des négociations avec des risques inégalement partagés. Il peut donc y avoir des règlements injustes. Il a évoqué l'acculturation réciproque de la justice étatique et des modes de résolution amiable et constaté que l'office du juge se décline aujourd'hui en une multitude d'expressions, de la décision tranchant le litige à l'exequatur en passant par une palette de possibilités. Il a finalement exhorté la salle : « Ne jetons pas le bébé de l'alternativité avec l'eau du bain de la déjudiciarisation. Si l'alternativité n'existait pas il faudrait l'inventer. »