Communiqué de presse du 9 juillet 2020 / La liberté de la presse et la lutte contre les abus de marché

17/07/2020 - mise à jour : 17/07/2020

La Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a condamné un journaliste de la presse britannique, actuellement retraité, à une sanction pécuniaire pour manquement d’initié, ce manquement ayant consisté à informer certaines de ses sources habituelles de la publication prochaine d’articles à sa signature relayant des rumeurs de marché concernant des titres admis à la négociation sur le marché français (en l’occurrence, les titres Hermès et Maurel & Prom).

Ces personnes et certains de leurs contacts ont également été condamnés à une sanction pécuniaire pour avoir retransmis cette information ou l’avoir utilisée en réalisation des investissements sur des contrats liés aux titres concernés, et ce en amont de la publication des articles en cause.

 

Saisie d’un recours formé par le journaliste contre cette décision, la chambre de la régulation économique et financière de la cour d’appel de Paris a, en tout premier lieu, rappelé l’importance qui s’attache à la protection des sources journalistiques, en tant que corollaire de la liberté de la presse. A cet égard, elle a considéré qu’un fichier reçu par l’AMF de son homologue britannique (dont elle n’avait pas spécialement sollicité la transmission), lequel retraçait les communications entrantes et sortantes de ce journaliste pendant plusieurs années, ce qui permettait d’identifier ses sources, ne pouvait, en raison de l’atteinte ainsi portée au secret des sources, servir d’élément de preuve pour établir la matérialité des faits qui lui étaient reprochés. La cour d’appel a ensuite vérifié que l’AMF ne s’était pas fondée sur ce fichier, mais sur  d’autres éléments, pour établir la matérialité des faits en cause et que le recueil de ces éléments de preuve n’avait pas été conditionné par la réception du fichier litigieux. Elle a également écarté d’autres moyens d’annulation de la procédure.

 

Par ailleurs, sur le fond, la cour d’appel a, notamment, saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une série de questions préjudicielles afin d’obtenir son éclairage sur l’interprétation de certaines dispositions des directives n° 2003/6 et 2003/124 et du règlement n° 596/2014 en matière d’abus de marché.

 

Elle l’a, tout d’abord, interrogée sur la notion d’information privilégiée, au sens des directives précitées, afin de savoir si une information portant sur la prochaine publication d’un article de presse relayant une rumeur de marché peut être suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à son effet possible sur le cours du titre concerné, eu égard à certaines circonstances particulières tenant, notamment, au contenu de l’article (mention du prix d’une possible offre publique d’achat), à la notoriété du journaliste l’ayant signé ou à la réputation de l’organe de presse l’ayant publié, et à l’influence sensible effective de sa publication (une fois celle-ci intervenue) sur le cours du titre.

 

La cour d’appel a également interrogé la Cour de justice de l’Union européenne sur le régime spécifique introduit par le règlement n° 596/2014 (entré en application le 3 juillet 2016), afin de concilier la lutte contre les abus de marché avec les exigences découlant de la liberté de la presse. Aucun régime spécifique n’ayant été prévu auparavant pour la divulgation illicite d’informations privilégiées, il s’agit là d’une nouveauté.

La Cour de justice n’ayant pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ce nouveau régime spécifique, la cour d’appel l’a interrogée sur son champ d’application, lequel est réservé à la divulgation d’informations “à des fins journalistiques”, et sur son articulation avec le régime de droit commun, lequel est prévu quelle que soit la finalité de la divulgation de l’information en cause.

 

Ce renvoi préjudiciel à la Cour de justice donne l’occasion à l’ensemble des Etats membres et des institutions de l‘Union européenne, qui ont participé à l’élaboration de ces textes, d’intervenir pour faire valoir leurs points de vue. Il permettra à la Cour de justice d’interpréter ces textes et de donner des précisions utiles concernant la situation des journalistes mis en cause dans des procédures d'abus de marché.