Aux grands hommes, la justice reconnaissante...

10/07/2018 - mise à jour : 14/08/2018
"On ne sait plus à quel saint se vouer..." rappelle un dicton populaire. Dans les palais de justice de la République, il devient exceptionnel -laïcité oblige- de trouver encore la statue d'un "saint patron", Saint Yves, l'évêque breton épris de justice ou Saint Louis, le bon Roi qui rendait justice sous son chêne ... Beaucoup de ces palais, de style néo classique, ont imité les temples grecs, mais en remplaçant les statues de Minerve ou de Jupiter par des figures allégoriques qui leur ressemblaient un peu : la République (Marianne), la Justice ou la Sagesse.
A la fin du XXème siècle, lorsque l'on a construit à Caen le palais Gambetta, la mode n'est plus au figuratif et Rebecca Horn, l'artiste chargée de concevoir une oeuvre pour la salle des pas perdus cherche plus, avec "Les soupirs de pierre", à évoquer une foule qu'un individu. Mais ce besoin de se placer sous la protection d'une figure tutélaire a survécu sous une forme nouvelle, puisque chaque salle d'audience, chaque salle de réunion porte le nom d'un grand homme ou d'une grande femme. Qui sont-ils ?

 

 

La Reine Mathilde (1031-1083) :

statue de la reine Mathilde

L'épouse de Guillaume le Conquérant, Duc de Normandie et Roi d'Angleterre, est connue de tous les caennais. Son nom a été choisi pour la plus grande salle de réunion du palais. Elle n'est certes pas connue pour son engagement au service de la justice ou de la loi, mais cette références prestigieuse à l'époque des ducs de Normandie nous rappelle que le droit normand, qui s'est mis en place dès le Xème siècle, est toujours l'objet d'études d'historiens du droit et d'un enseignement à l'université de Caen, très suivi par les juristes des îles anglo-normandes qui l'appliquent toujours.

 

Michel de l'Hospital (1505-1573) :

Michel de l'Hospital

Juriste de formation, Michel de l'Hospital est devenu premier président de la chambre des comptes de Paris, avant d'être choisi comme "chancelier" par la régente Catherine de Medicis. Il oeuvra pour la simplification du droit français (déjà...), mais laissera surtout l'image, en cette période trouble de guerres de religion, d'un homme animé par un souci de tolérance, ayant cherché inlassablement à apaiser le conflit entre catholiques et protestants. Son nom a été donné à l'une des salles d'audience dans lesquelles se réunissent les chambres civiles, au 3ème étage.

 

Montesquieu (1689-1755) :  

Montesquieu

Magistrat, président au parlement de Bordeaux, Montesquieu fait partie de ces "esprits du siècle des lumières" qui ont contribué à transformer les mentalités. S'intéressant beaucoup à l'histoire et à la philosophie politique, son oeuvre majeure, L'Esprit des Lois (1750) a montré que les libertés individuelles ne pouvaient être garanties que par des institutions telles que la séparation des pouvoirs. La salle d'audience qui porte son nom est occupée essentiellement par le conseil de prud'hommes.

 

Malesherbes (1721-1794) :

Malesherbes

Substitut du procureur général au parlement de Paris, secrétaire d'Etat sous Louis XV, botaniste de renom, Malesherbes est surtout resté dans l'histoire pour avoir accepté d'être l'avocat du Roi Louis XVI lors de son procès. Il est mort guillotiné le 21 avril 1794. La salle d'audience qui porte son nom est celle occupée par le tribunal de commerce et certaines chambres civiles de la cour. Sa double qualité de magistrat et d'avocat rappelle à chacun qu'il n'y a pas de bonne justice sans un débat contradictoire.

 

Olympe de Gouges (1748-1793) :

Olympe de Gouges

Femme de caractère, Olympe de Gouges monta une troupe de théâtre et rédigea plusieurs pièces où elle dénonçait l'esclavage. Sous la Révolution, elle a réclamé que les femmes soient associées aux débats politiques."La femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune." Elle a rédigé une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, affirmant l'égalité des droits civils et civiques des deux sexes. Elle a joué également un rôle important dans l'instauration du divorce. Elle est aujourd'hui perçue comme précurseur du féminisme. Deux siècles après sa mort, une très grande majorité des postes de greffiers, de juges et d'avocats, sont occupés par des femmes.

 

Alexis de Tocqueville (1805-1859) :

Alexis de Tocqueville

Avocat, né dans une vieille famille normande du Cotentin, cet arrière-petit-fils de Malesherbes est devenu successivement député de la Manche, président du conseil général,et membre de la commission chargée d'écrire la constitution de 1848. Mais Alexis de Tocqueville est surtout resté dans l'histoire pour ses deux livres les plus fameux, De la démocratie en Amérique, paru en 1848, et L'Ancien régime et la Révolution, paru en 1856. La pertinence de ses analyses a été reconnue au XXème siècle où il est devenu une référence pour les historiens, les sociologues et les juristes. Son nom a été donné à la plus grande salle d'audience, affectée à la fois aux audiences solennelles de la cour et aux audiences de la cour d'assises du Calvados

 

René Cassin (1887-1976) :

René Cassin

Professeur de droit, il rejoint le Général de Gaulle à Londres en juin 1940 et rédige les statuts de la France libre. Après la guerre, il devient vice-président du Conseil d'Etat, et représente la France à l'ONU entre 1946 et 1958. A ce titre, il devient membre de la commission des droits de l'homme et le principal instigateur de la déclaration universelle des droits de l'homme. De 1959 à 1968, il est vice-président, puis président de la Cour européenne des droits de l'homme. Il a reçu le Prix Nobel de la paix en 1968. Son nom, donné à la salle d'audience où se réunissent les chambres pénales de la cour, évoque pour tous les juristes la part essentielle prise par le droit européen depuis 50 ans, particulièrement dans le domaine des droits de l'homme.