Histoire et architecture de la Cour d'appel de Chambéry

21/03/2018 - mise à jour : 25/04/2018
 

Une histoire étroitement liée aux destinées de la Savoie

La cour d'appel de Chambéry plonge ses racines dans l'histoire de la Savoie dès le XIIIe siècle : c'est en 1295 que la ville de Chambéry devient la capitale politique des comtes de Savoie connus sous le surnom de "Portiers des Alpes". Dès cette date, la justice est rendue au Château par le Conseil Résident. Le comté devenu duché en 1416 conserve sa capitale à Chambéry jusqu'en 1562, date de son transfert à Turin.

C'est pendant l'occupation française de la Savoie par les troupes de François 1er qu'un Parlement a été institué en 1536 au Château de Chambéry. En 1559, la restauration des Ducs de Savoie s'accompagne de la création du Sénat de Savoie, successeur du Parlement de François 1er. Cette institution à la fois judiciaire et administrative connue sous le nom de "Souverain Sénat de Savoie" connut un grand rayonnement bien au-delà des habitants de la Savoie. Les sénateurs furent choisis parmi les meilleurs juristes du duché, et notamment le plus célèbre d'entre eux, le sénateur Antoine Favre, baron de Pérouges, dont la statue se dresse devant le palais de justice de Chambéry.

Avec la transformation du Duché de Savoie en Royaume en 1713 et après une nouvelle occupation de la Savoie par la France révolutionnaire et napoléonienne de 1792 à 1815 (seule période durant laquelle il n'y a plus de juridiction d'appel en Savoie, les appels étant traités par la cour d'appel de Grenoble) la monarchie sarde transforma en 1848 le Sénat en cour d'appel de Savoie.

 

En 1860, les magistrats de la cour d'appel de Savoie ont procédé à la proclamation officielle du résultat de la consultation populaire relative à la réunion de la Savoie à la France. Aussitôt, la cour d'appel de Savoie devint la cour impériale de Chambéry évoluant, en 1871, en cour d'appel de Chambéry.

 

Un palais de justice savoyard devenu français

C'est le roi de Piémont Sardaigne, Victor-Emmanuel II, qui décida en 1848 de construire un palais de justice pour la cour d'appel de Savoie.
Les plans du palais furent confiés à l'architecte chambérien Pierre-Louis Besson, puis à l'ingénieur piémontais, Spurgazzi. Le roi Victor-Emmanuel II, accompagné de la reine, posa lui-même la première pierre du palais le 27 mai 1850. À cette occasion, une cassette de bois de palissandre contenant 10 pièces en or et en argent à l'effigie du roi fut enfouie dans les fondations du palais.

Victor Emmanuel II

Les travaux du palais se sont prolongés une dizaine d'années et il ne fut jamais inauguré ni par le roi sarde ni par Napoléon III car entre-temps la population de la Savoie s'était prononcée en 1860 pour sa réunion à la France.

Le palais de justice de Chambéry constitue donc la toute dernière construction de la monarchie et il est très fortement imprégné  de ses origines sardes.

Il s'agit d'un bâtiment imposant : sa façade enduite aux couleurs "rouge sarde" présente un rez-de-chaussée avec entresol en pierres appareillées. Au premier tage, un avant-corps de sept travées de colonnes ioniques prennent naissance au-dessus d'une balustrade de pierre, surmontées d'un fronton triangulaire. Celui-ci reste inachevé car il n'a jamais reçu la décoration initialement prévue en raison d'incertitudes politiques et financières liées à la transmission de la Savoie à la France. Cette façade est un témoignage de l'architecture sarde de l'époque marquée par le classicisme.

En franchissant les portes en bois massif, on pénètre dans une cour intérieure aux couleurs vives témoin de ses origines artistiques sardes, qui est bordée de portiques à arcades.

Cour intérieure - Crédit photo : Studio Erick Saillet

Sur le plan patrimonial, l'intérieur du palais de justice de Chambéry a été qualifié de "petit musée".
Un escalier d'honneur à deux volets mène au vestibule ou salle des pas perdus. Une fresque recouvre l'un des murs de ce vestibule : elle est l'œuvre de Pierre Montezin, artiste parisien, et a été réalisée en 1939 sur le thème "Les travaux des champs". Ce vestibule comprend également un tableau de Jacques Morion, peintre chambérien, intitulé "Après-midi au lac du Bourget" (1899) et une œuvre monumentale de Laurent Pécheux, peintre officiel du roi de Piémont, intitulée "Auguste faisant un sacrifice au Dieu Mars" (1800).

"Les travaux des champs" de Pierre Montezin" - Crédit photo : Studio Erick Saillet

 

La vaste salle d'audience solennelle dans laquelle a été proclamé, par les magistrats de la cour, le résultat de la consultation des Savoyards sur le rattachement à la France, le 26 avril 1860, comprend une plaque en marbre scellée dans le mur et portant le souvenir de cet événement avec les résultats du scrutin. Cette salle d'audience est aussi ornée d'un portrait de Napoléon III (1860) et d'emblèmes originaux : les deux masses d'armes des huissiers de l'ancien Sénat de Savoie.

 

 

Salle d'audience solennelle - Crédit photo : Studio Erick Saillet

Une galerie donnant sur la cour intérieure du palais comprend divers tableaux paysagers, une représentation de "Saint-François-de-Sales convertissant deux hérétiques" du peintre Stanislas Loyer (1863) et la chasuble de Saint-François-de-Sales, saint patron des écrivains et des journalistes.

Le salon de réception Napoléon comprend un buste de Napoléon 1er surmontant une cheminée monumentale, encadrée par deux portraits de souverains savoyards exécutés par la célèbre La Clementina.

 

 

Témoignage de maître Olivier Fernex de Mongex, avocat au barreau de Chambéry

"Le palais de justice de Chambéry dispose en raison de l’histoire spécifique de cette région et du pouvoir judiciaire prégnant, d’une place particulière dans la mémoire collective. Mais au-delà des couleurs très locales, le mélange subtil des œuvres unissant tant le Dieu Mars que Napoléon III, entre les portraits des souverains savoyards et les meubles incrustés d’émaux, ce palais exprime toute la pensée judiciaire puisant dans les travaux mêlés d’Antoine Favre, Saint-François-de-Sales (docteur en droit de l’université de Padoue) et de Joseph de Maistre. Bien d’autres ont également œuvré au retentissement de ces juridictions pour lesquelles l’admiration, bien au-delà de l’hexagone, a forgé cette réputation unique. Cette cour sait unir le témoignage du passé et la pensée moderne."