Les arbres peuvent-ils plaider ?

Une conférence-débat sur l'évolution du cadre juridique pour la protection des éléments naturels
10/10/2024 - mise à jour : 10/10/2024
Conférence arbres peuvent ils plaider? 2024

De gauche à droite : Me Valière-Vialeix, Marine Calmet, Valéry Turcey, Séverine Nadaud

Le jeudi 26 septembre, la Cour d'appel de Limoges a organisé une conférence-débat animée par Madame Calmet, présidente du programme WILD legal, Madame Nadaud, doyenne de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Limoges, membre de l'Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques (OMIJ) et directrice adjointe du Centre de Recherches Interdisciplinaires en Droit de l’Environnement de l’Aménagement et de l’Urbanisme (CRIDEAU) et maître Valière-Vialeix, avocat au barreau de Limoges, en présence des chefs de cour. Il s’agissait, à la lumière du droit comparé et du mouvement doctrinal qui se manifeste en faveur d’une meilleure prise en compte des droits de la nature, de réfléchir sur les avantages et inconvénients d’une reconnaissance de certains éléments naturels en tant que parties représentées aux instances concernant le droit de l’environnement.

La conférence a débuté par une intervention de madame la procureure générale, qui a exposé la politique pénale menée par le parquet général en matière environnementale.

Monsieur le premier président a quant à lui rappelé que l’origine de cette doctrine visant à accorder des droits aux éléments naturels provenait de l’engagement du juriste américain Christopher Stone, auteur en 1972 d’un article destiné à contrer un projet qui menaçait une forêt de séquoias, et proposait d’accorder des droits aux arbres. Il a également souligné que, bien que les associations de défense des éléments naturels puissent intervenir au cours d’instances judiciaire en raison de leur personnalité morale, leurs intérêts ne coïncident pas toujours avec ceux de la nature elle-même. Enfin, le premier président a indiqué qu’une telle évolution du droit nécessiterait de régler des problèmes juridiques pratiques tels que le choix de l’avocat représentant une forêt ou un fleuve, sa rémunération, et l’identification du bénéficiaire des éventuels dommages et intérêts obtenus dans ce cadre.

Marine Calmet a présenté le travail de Wild Legal, un incubateur juridique soutenant la reconnaissance des droits de la nature. Selon elle, l’octroi de la personnalité juridique aux entités naturelles telles que les arbres ou les écosystèmes permettrait une protection plus spécifique et mieux adaptée aux besoins des écosystèmes en danger. Cependant, plusieurs obstacles subsistent. Certains juristes estiment que le droit de l'environnement est déjà suffisant, tandis que d'autres craignent des conflits entre les droits des êtres humains, des personnes morales et des entités naturelles. Elle a également présenté l’évolution de la protection des droits de la nature dans d’autres Etats, comme la République de l’Équateur, qui, en septembre 2008, est devenue le premier pays au monde à incorporer dans sa constitution les droits de la nature. Madame Calmet a fait le point sur les initiatives en cours en France, comme celle des droits de l’estuaire de la Gironde, projet porté par des étudiants qui a fait l’objet d’un partenariat avec Wild Legal. Il reflète l'intérêt grandissant pour ces questions au sein de la société civile, des institutions universitaires et des juridictions.

Séverine Nadaud, doyenne de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Limoges, a ensuite pris la parole pour expliquer que le cadre juridique français repose sur une distinction traditionnelle entre les sujets de droit, les personnes physiques et morales, et les objets, les biens, y compris les éléments naturels. Elle a indiqué que le droit de l’environnement actuel assurait une certaine protection de ces éléments, mais qu’elle pouvait être considérée comme insuffisante, un parallèle pouvant être fait avec la protection des animaux qui s’est vue renforcée par une politique pénale répressive à l’égard de la maltraitance animale.

Maître Valière-Vialeix a quant à lui détaillé les dispositions actuelles du droit qui permettent déjà d’assurer une protection des éléments naturels, comme par exemple les règles d’urbanisme qui permettent de classer des arbres comme remarquables ou encore la reconnaissance d’un préjudice écologique. Il a également abordé les aspects procéduraux qui devront faire l’objet d’une adaptation dans le cas où les éléments naturels se verraient reconnaître des droits, comme la désignation de leur représentant ou l’indemnisation du préjudice.

Le débat s’est conclu sur la nécessité de repenser notre cadre juridique face aux enjeux climatiques et environnementaux actuels. Les juges français sont-ils prêts à s'engager dans cette voie novatrice, à l'instar de ce qui s'est produit dans d'autres pays ?

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