Compte-rendu du colloque du 14 mars 2019

17/04/2019 - mise à jour : 21/09/2023
Compte-rendu du colloque du 14 mars 2019

 

Propos introductifs

Première table ronde : office du juge et principe du contradictoire

Seconde table ronde: la preuve et le juge: un régime pour deux ordres?

Conclusion

 

Propos introductifs

Chantal ARENS, Première présidente de la cour d'appel de Paris

Dans ses propos introductifs, Madame Chantal Arens, premier président de la cour d'appel de Paris, se réjouissant de la reconduction de cette conférence, organisée dans le cadre d'un cycle permettant aux deux ordres de juridictions d'échanger sur leurs pratiques et leurs procédures, a rappelé le rôle et le caractère cardinal des principes du contradictoire et de la charge de la preuve dans le cadre du procès civil.

Rappelant que ces concepts fondamentaux de la procédure représentaient d'incontestables garanties procédurales et de véritables gages de qualité de la décision de justice rendue, Madame le premier président a défini les contours des principes directeurs et souligné que le principe du contradictoire constitue selon l'expression du professeur Cornu « la quintessence du procès civil ».

Madame Arens a également souligné que l'influence du droit européen des droits de l'homme, par le truchement de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui a eu pour effet de créer un cadre commun procédural aux deux ordres juridictionnels. Dès lors si les principes directeurs du procès sont aujourd'hui similaires, leur application en pratique met en lumière la persistance de spécificités. Les différents intervenants, magistrats des deux ordres, avocats et justiciables ont étayé ces points de convergence et de dissemblance à travers leurs présentations croisées.

Monsieur Patrick Frydman, président de la cour administrative d'appel de Paris, s'est également félicité de l'organisation de ce colloque qui témoigne de la qualité des relations entre les deux ordres de juridiction. Il a rappelé que ce regard croisé est précieux  en ce qu'il permet de mesurer à distance la façon dont les deux ordres juridictionnels travaillent, de comparer les pratiques respectives, d'en mesurer l'efficacité, les avantages et les inconvénients, les vertus et les faiblesses, avec, comme horizon, la volonté de proposer les améliorations nécessaires pour mieux répondre aux attentes des concitoyens en matière de justice et faire émerger des pistes pour améliorer le fonctionnement de la justice.

Le président de la cour administrative d'appel de Paris a par ailleurs rappelé que les différences trouvaient leur origine dans les caractéristiques du contentieux administratif, notamment le rapport structurel d'inégalité entre l'individu et la puissance publique, inégalité à laquelle visent à remédier les pouvoirs dont dispose le juge administratif dans la conduite de l'instruction.

Première table ronde : l'office du juge et le principe de la contradiction

La première table ronde, portant sur l'office du juge et le principe de la contradiction, modérée par Monsieur le président de la cour administrative d'appel, a permis aux différents acteurs de la procédure de présenter l'incidence du principe du contradictoire sur les rôles du juge, tenu au respect du contradictoire et gardien du respect du contradictoire par les parties.

Madame Martine Roy-Zenati, première présidente de chambre à la cour d'appel de Paris, et Madame Mireille Heers présidente de chambre à la cour administrative d'appel de Paris, ont rappelé que le juge ne saurait se fonder sur des éléments soustraits au débat contradictoire. Maitre Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation a présenté le contradictoire comme un dérivé des droits de la défense, rappelant que le respect de ce principe est souvent spontané, les parties communiquant leurs écritures avant l'audience.

Par ailleurs, Mesdames Roy-Zenati et Heers ont rappelé que l'application du principe du contradictoire est protégée par la rationalisation de la phase de mise en état et notamment le respect de délais, pour communiquer des pièces avant l'ordonnance de clôture. Maitre Jullien, avocat au barreau de Paris, a présenté sa réflexion sur les évolutions possibles de l'office du juge en matière civile, soulignant son caractère fluctuant face à une procédure civile de plus en plus inquisitoire et exprimant le souhait d'une unification des principes de droit processuel continental afin de clarifier l'office du juge notamment quant à la détermination de la loi applicable afin d'éviter toute potentielle défaillance au devoir d'impartialité du juge.

Seconde table ronde: La preuve et le juge: un régime pour deux ordres

La seconde table ronde consacrée à la preuve et au juge, modérée par Madame la Première Présidente a eu pour objectif de s'interroger sur l'existence d'un régime commun aux deux ordres sur la charge et à la licéité de la preuve

Dans un dialogue dynamique entre les deux ordres, Monsieur Vasseur, conseiller à la cour d'appel de Paris et Madame d'Argenlieu, premier conseiller à la cour administrative d'appel de Paris ont échangé sur les règles et les pratiques propres à leurs ordres de juridiction.

Dans un premier temps, le dialogue entre les deux magistrats a permis d'étayer le principe commun de la charge de la preuve pesant sur le demandeur de l'instance.

la jurisprudence civile semble avoir consacré un devoir du juge de statuer, ce dernier ne pouvant arguer de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties en application de l'article 4 du code civil ;

le juge administratif ne doit en revanche pas intervenir, si l'état du dossier, ne le requiert pas ou en cas de preuve impossible mais doit le faire face à une allégation sérieuse du demandeur et en l’absence de réponse convaincante de la défense.

Dans un second temps, les deux magistrats ont comparé les règles d'admission et de loyauté entourant la licéité de la preuve.

Devant le juge civil, nul ne peut se constituer de titre à soi-même. Le juge apprécie souverainement la hiérarchie des droits qui s’affrontent lors du recueil de la preuve déloyale ou illégale. Il les met en balance et exerce un contrôle de proportionnalité, afin de privilégier soit le droit à la preuve, soit le droit concurrent. Néanmoins, la notion de procédé déloyal souffre d’une incontestable indétermination rendant les solutions jurisprudentielles en matière d’administration de la preuve assez imprévisibles. Le stratagème renvoie à une norme de comportement devant être adoptée par celui qui recherche une preuve sans fournir de critères précis permettant de caractériser le comportement à adopter.

Devant le juge administratif, la preuve est en principe totalement libre. Dans cette logique, le requérant est donc libre de se constituer une preuve à lui même. C’est pour garantir la loyauté du procès que le juge administratif a aménagé la dialectique de la preuve. C’est la loyauté qui conduit le juge administratif, dans le cadre de la procédure inquisitoriale, à aménager la charge de la preuve afin que lorsque l’administré se trouve dans l’impossibilité de prouver ses allégations, puisque les pièces sont détenues par l’administration, cette charge bascule finalement sur le défendeur.

Monsieur Philippe Mettoux, conseiller d'Etat, directeur des affaires juridiques de la SNCF a apporté le point de vue du praticien et du justiciable sur la charge de la preuve. Il a rappelé l'importance de la charge de la preuve au regard de la maxime: « C'est la même chose de ne pas être ou de ne pas être prouvé ». Il rappelle toutefois qu'il existe des dérogations, notamment par le biais de la présomption affirmation, de la présomption légale, ou bien encore de la responsabilité sans faute de l'administration reconnue au terme d'une longue évolution jurisprudentielle.

Monsieur Mettoux a rappelé que le régime des preuves diffère selon les pays. En droit français, deux modes de preuves, transcendant les ordres juridictionnels sont aujourd’hui privilégiés : l’expertise et l’écrit. Même si l’aveu continue de jouer un rôle tout à fait important dans notre droit, il fait l’objet d’un contrôle permanent et doit être corroboré par des recherches plus objectives, au moyen notamment de l’expertise. Quant à l’écrit, détrônant l’aveu, il est devenu la reine des preuves. Cette valorisation de la preuve écrite a pris la forme de la réforme du droit de la preuve en matière électronique.

En outre, il a opéré une comparaison avec la pratique de « la discovery » anglaise qui oblige chaque partie à produire et communiquer l’ensemble des documents relatifs à l’affaire, que ces documents lui soient ou non favorables. Le juge anglais part de l’idée que la vérité n’est accessible qu’à travers ce que les parties veulent bien dire. L’aboutissement naturel de cette méthode est que le juge anglais est amené à se décider en faveur de la thèse qui lui paraît la plus vraisemblable (« preponderance of evidence ») et n’est pas, comme le juge français, investi de cette « mission sacrée » de dire la vérité, sur la base de preuves incontestables.

Synthèse

Madame Fauvarque-Cosson, conseiller d'Etat, professeur de droit a conclu ce colloque par une synthèse orale de la diversité des propos des intervenants. Selon elle, le dualisme procédural introduit une saine émulation pour les réflexions tournant autour du droit procédural. Elle rappelle que l'influence du droit européen des droits fondamentaux et l'intervention en ce sens du professeur Motulsky, ont contribué à forger un droit commun du procès. Le colloque a permis la création de ponts, de liens et de points de comparaisons entre les deux ordres. Les attentes des justiciables étant à cet égard un point de convergence en ce qui concerne la qualité des décisions rendues par les juridictions judiciaires et les juridictions administratives.

Finalement, la question sous-jacente du présent colloque renvoie à l'office du juge, et à la problématique : pouvoir ou devoir? Les conceptions sont différentes selon les particularités attachées à la procédure. La marque de fabrique de la procédure civile est fondée sur une distinction entre le fait et le droit (en application des articles 4 et 12 du CPC). Aussi, la décision de la Cour de Cassation du 21 décembre 2007 est d'une grande importance, imposant une conception stricte de l'office du juge qui n'est pas tenu de changer la dénomination ou les demandes juridiques des parties.

Les points de convergence sont nombreux au regard de l'application du principe du contradictoire. L'article 16 du code de procédure civile impose au juge d'informer les parties lorsqu'ils soulèvent un moyen d'office. D'autre part, ce principe directeur a fait l'objet d'une consécration prétorienne par le Conseil d'Etat puis d'une codification au sein du code de justice administrative. Dès lors, Madame Fauvarque-Cosson a déduit des débats qu'en parallèle de l'office du juge se définit également un office des parties liés à l'application toujours plus contrôlé du principe de loyauté.